25 novembre 2011

Provocante provocation

Encore un p'tit sujet accouchement pour la Montagnarde, on ne se refait pas.

Il y a quelques jours, la Radio Suisse romande titrait une de ses émissions "Les risques d'un accouchement déclenché". Aussitôt, mes oreilles se sont dressées. Sous quel angle allaient-ils présenter le sujet? Allions-nous avoir une fois encore droit à une émission bateau où personne ne fait avancer le schmilblick, ou bien est-ce qu'enfin quelqu'un oserait secouer le cocotier?

Il y avait 3 invités, un médecin de l'OMS (qui parlait donc d'une étude récente démontrant les risques de la provocation), une sage-femme, et notre cher Dr. Irion des HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève).

Petit florilège de citations....

Dr. João Paolo Souza, médecin à l'OMS "On ne sait pas pourquoi le fait de provoquer l'accouchement est à l'origine de l'augmentation du risque d' admissions en soins intensifs, d'hystérectomies et du besoin d'analgésie, mais quand on intervient dans un processus naturel, des effets que l'on ne peut pas anticiper arrivent."

Quel scoop! Et il faut faire une étude sur plus de 37'000 femmes pour arriver à ça? Bon, au moins ils le disent.

Dr. Irion, sur les indications médicales à la provocation "Ça peut être le dépassement du terme"

Alors là, non. Je veux bien que parfois, il soit vital que le bébé sorte rapidement, mais sûrement pas parce qu'il a soit-disant dépassé le terme, notion qui ne fait aucun sens. Grave erreur que de dire aux femmes "vous allez accoucher le 15 octobre", car ensuite, elle la première, puis le corps médical, se focalise dessus, comme si il s'agissait d'une vérité indiscutable. Alors que la grossesse dure environ 9 mois. Il faudrait donner une marge, par exemple "vous allez accoucher dans la deuxième quinzaine d'octobre". Ça détendrait tout le monde.

Ensuite, s'il y a une réelle suspicion de dépassement de terme, toute femme devrait exiger un score de Manning (évaluation de 5 critères permettant de déterminer le bien-être (ou détresse) du foetus. Si le score est mauvais, ok il faut faire quelque chose, mais sinon, on laisse bébé se préparer tranquillement pour sa grande entrée dans le monde. Donc non, on ne provoque pas parce que la machine a dit "terme le 15 octobre" et que nous sommes déjà le 18.

Dr. Irion "Il peut y avoir des indications plus sociales que médicales" (= de convenance). No comment.

Question du journaliste: "Est-ce que c'est parfois aussi pour arranger le médecin?"

Réponse de la Montagnarde: "Mais non voyons, cela n'arrive jamais, pensez-vous...". Le Dr. Irion, lui, dit que non, que les intérêts du médecin ne devraient pas être contraires à ceux de la patiente... Mouais. La situation est encore différente dans le privé.

Dr. Irion "Le déclenchement comporte peut-être des risques, mais ça comporte aussi des bénéfices. Je vous citerai simplement une grande étude qu'on a conduite ici au HUG en collaboration avec des centres français et belges et où on a comparé deux groupes de femmes qui attendaient un enfant qu'on suspectait être grand (rhaaaaaaa, voir mon précédent message). Et sachant que plus l'enfant est grand plus l'accouchement peut être difficile (rhaaaaaaaa), on a comparé ces deux groupes pour savoir s'il valait mieux attendre que la nature décide du jour de l'accouchement ou s'il valait mieux anticiper ce jour en faisant une provocation légèrement avant terme. Et en fait dans cette étude on a vu que les femmes qui étaient provoquées avaient plus de chance d'avoir un accouchement normal, spontané (je ne vois pas où est la spontanéité mais soit) que les femmes qui n'avaient pas de provocation. Donc si l'indication médicale est bien choisie, la provocation peut aboutir à un bénéfice et non à un risque."

Et puis "on a vu qu'en intervenant de manière médicale on réduisait quand même la mortalité périnatale et la mortalité maternelle donc il ne faut pas diaboliser l'intervention médicale en terme de grossesse et d'accouchement. La tentation c'est de dire c'est un processus naturel il faut le respecter entièrement mais si vous vous tournez vers des pays moins favorisés que chez nous, en Afrique, en Asie où il y a peu de médicalisation de l'accouchement vous verrez que la mortalité maternelle reste scandaleusement élevée, que la mortalité périnatale est élevée, donc je pense qu'il faut aussi faire passer le message que la médicalisation de l'accouchement a abouti à une réduction globale des risques, au prix c'est vrai d'une augmentation du nombre d'interventions."

Comment peut-on faire 12 ans d'études et avoir des raisonnements aussi simplistes?

Le grand progrès dans l'histoire de l'obstétrique, qui a marqué la chute radicale du taux de mortalité à la naissance a été l'introduction de l'asepsie dans les salles d'accouchements. Quand les médecins ont commencé à se laver les mains entre la dissection d'un cadavre et les soins portés à une parturiente, quoi... Pas quand ils sont arrivés avec leurs aiguilles en tout genre (perf de glucose, péri, provoc et cie).

Oui, il existe encore, hélas, bien des pays à forte mortalité maternelle et foetale au moment de la naissance. Des pays où l'hygiène fait défaut et où les femmes ne bénéficient pas de contrôles pendant la grossesse. Voilà ce qui fait la différence...

Faut-il citer, encore et toujours, l'exemple des Pays-Bas, qui cumulent un taux de 30% d'accouchement à domicile, de 15 % de péridurale, 6 % de césarienne et en même temps les meilleures statistiques périnatales d'Europe? Visiblement le Dr. Irion n'a pas envie d'aller regarder de ce côté là. Cet immobilisme me révolte.

Ce qui me révolte encore plus, c'est qu'une fois de plus, on parle des mamans et du corps médical et on oublie qui?

Bah oui, les bébés. Ils n'ont de toute façon pas leur mot à dire, êtres innocents condamnés à souffrir en silence et à arriver sur Terre dans une violence indigne.

Car oui, la provocation est violente, pour eux qui n'ont pas d'anesthésie, qui vivent tout en live et sans filet. Je suis écoeurée que personne ne se pose la question de leur ressenti. Mais pas seulement de leur ressenti, aussi des conséquences à long terme d'une décision en apparence banale.

Si une femme venait à son médecin avec la demande de provoquer la naissance parce qu'elle est fatiguée/que son mari va partir en voyage/qu'elle aimerait que son enfant soit Taureau, et qu'il lui disait: "Madame, avez-vous conscience qu'en faisant ça vous risquez de vous retrouver avec un enfants hyperactif?". Peut-être qu'elle réfléchirait. Mais si ça se trouve, il ne le sait pas lui-même, parce qu'il ne s'intéresse pas à la littérature médicale anglophone, dans laquelle on trouve des études qui montrent le lien entre l'utilisation de l'ocytocine à la naissance et l'hyperactivité de l'enfant.

C'est dingue, la provocation se banalise et l'hyperactivité explose. Et on fait quoi? On donne de la ritaline.

Quand j'entends des émissions grand public comme ça, je me dis que le chemin vers une naissance plus digne, respectueuse, humaine est encore bien long. Et cela me met dans une humeur bien pessimiste pour l'avenir. Que faire?

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